Un rideau aux allures industrielles obstrue l’entrée de l’espace d’exposition tout en donnant une vue floutée sur l’installation de Lucie Rocher qui nous invite de part et d’autre (sic) d’un processus de recherche étendu sur près de 10 ans. Marquant un temps, une étape de franchissement, le rideau matérialise aussi l’anticipation d’une expérience à venir en écho à l’artiste à l’aube d’un projet, d’une résidence ou même de sa carrière.
L’installation qui suit offre ainsi une perspective kaléidoscopique sur le développement parallèle de Rocher comme artiste et du pôle de Gaspé comme lieu névralgique de l’art. Rocher a obtenu en 2013, dans le bâtiment encore en rénovation, son premier atelier montréalais. Aussi microscopique que nécessaire, cet espace à soi sera le tremplin d’une carrière qui va s’affirmer et s’affiner au rythme des déménagements et des agrandissements de son corpus. Cet accroissement graduel des espaces créatif et de remisage est repris par la structure au sol qui, tel un piédestal irrégulier, illustre un parcours semé d’embuches. Une boite lumineuse au cadre miroitant présente à l’extrémité de ce podium déstructuré une superposition de photos du chantier qui a entouré les migrations de Rocher. À travers l’amoncellement des matériaux et l’empilement des images se dégage une étonnante solitude. La multiplication des objets et des traces fantomatiques du travail des ouvriers dessine le pourtour d’un vertige d’opportunités, d’un champ de possibles comme celui qui borde les ateliers de Gaspé aussi représenté au centre de l’espace. La segmentation du Champ des possibles sur une douzaine de poutres fines évoque non seulement ses modulations au fil du temps, mais aussi la menace de son rétrécissement corolaire à sa popularisation. Seule photo couleur de l’exposition, elle illustre en ce sens autant l’actualité du lieu que sa transitivité. Le Champ des possibles se manifeste dans l’espace d’exposition avec la déconcertante fragilité d’un « ça-a-été » barthésien exalté par les « notes d’atelier » photographiques reproduites sur quatre plaques d’acier au mur. En effet, ces plaques chromées sont inclinées de sorte que leur verso coloré se reflète au mur. Cette matérialité inattendue de l’image et la lourdeur inhabituelle de son support déjouent les repères et les attentes envers l’image qui passe alors d’auxiliaire à sujet.
La nostalgie inhérente à la photographie n’est finalement qu’un prétexte à la projection de nos aspirations futures, ce que Rocher traduit enfin habilement dans le face à face de De Gaspé avec Atelier en résidence. Séparées par l’installation Les possibles, les photos de chantier superposées s’opposent à celle unique et solarisée d’un atelier concrétisant une transition des perspectives sur le travail. De part et d’autre, est ainsi fait de strates, des spectres des actions passées, d’absorption de ce-qui-est dans ce-qui-a-été et de réflexion des présents simultanés.
Dominique Sirois-Rouleau – directrice de MOMENTA, biennale de l’image
Article de Marie Lansiaux – Revue ESSE
Article de Dounia Bouzidi – Revue Espace